Le corridor de Suwałki

     Ce mercredi 13 juillet, la Commission européenne, afin de faire baisser la tension entre la Russie et la Lituanie, estime que si la Lituanie a le droit d’interdire le transport routier vers l’exclave de Kaliningrad de marchandises russes sous sanctions, elle ne peut le faire pour le transit ferroviaire pour les biens, hors matériel militaire. Afin d'éviter le contournement des sanctions, elle demande que le transit des marchandises soit contrôlé de manière “ciblée, proportionnelle et effective”.

Le corridor de Suwałki (Przesmyk suwalski)

   Comme vous le savez, après la Première Guerre mondiale, en raison de graves tensions politiques avec les pays voisins, la renaissance de la Pologne fut menacée. À la suite du traité de Versailles signé le 28 juin 1919, une partie de la Prusse orientale a ainsi été démantelée au profit de la Pologne qui gagna un accès à la mer - point inscrit dans les « quatorze points de Wilson » - en obtenant une étroite bande de terre qu’on surnomma le corridor de Dantzig. Ce territoire, en partie germanophone, sépara donc la Prusse-Orientale du reste de l’Allemagne, ce qui dès lors devint une pomme de discorde durable dans les relations germano-polonaises et sera le 1^er septembre 1939 un des éléments déclencheurs de la Seconde Guerre mondiale…

   Eh bien, de nos jours on reparle de corridor. Mais pas du même. De celui surnommé corridor de Suwałki, « l’endroit le plus dangereux sur Terre », dit-on, car il serait probablement le premier point de contact en cas d’affrontement entre la Russie et l’OTAN !

   Cette petite bande de terre de 65 km de long à la frontière entre la Pologne et la Lituanie, fait partie du “poumon vert” de la Pologne - une région dont le développement ne doit pas menacer l’environnement naturel afin que les générations futures puissent bénéficier des ressources de la terre polonaise de la même manière qu’aujourd’hui.

La région de Suwałki (Suwalszczyzna)

   Situé autour des villes de Suwałki, Augustów et Sejny, le corridor (Suwałki Gap, en anglais) relie en même temps les États baltes à la Pologne et au reste des pays de l'OTAN et il sépare l'enclave russe de Kaliningrad et la Biélorussie, alliée de la Russie. L'endroit revêt donc une importance stratégique cruciale pour la sécurité de l'OTAN et du flanc oriental de cette organisation politico-militaire.

La frontière polono-lituanienne

   Kaliningrad, grâce à ses ports libres de glaces toute l’année, est depuis l’époque soviétique le siège de la flotte de la Baltique. Avant-poste militaire important, l’enclave a donc une importance stratégique pour la Fédération de Russie. Cependant, entourée par des pays de l’OTAN, elle n'est reliée à Moscou que par une unique voie de chemin de fer qui traverse la Lituanie… Or, le 17 juin dernier, la Lituanie a partiellement fermé le transit ferroviaire des marchandises russes à destination et en provenance de Kaliningrad, affirmant qu'elle introduisait des sanctions de l'UE, suite à la guerre en Ukraine. Le charbon, les métaux, les matériaux de construction, le ciment, etc. ne peuvent donc plus être acheminés. Pour ne rien arranger, les camions sont bloqués à la frontière. Tous les chargements sont inspectés.

   Même si le blocus ne s'étend pas aux biens de consommation courante, la Russie a annoncé qu'elle réagirait à de tels “actes hostiles”, soulignant qu’il existe en effet un accord conclu il y a vingt ans entre la Russie et l’UE : ce transit était l’une des conditions imposées à la Lituanie lors de son adhésion…

Kaliningrad

   En 2017 et 2021, des exercices conjoints biélorusses-russes avaient simulé un conflit dans le cas où la Russie prendrait le contrôle du couloir entre la Biélorussie et Kaliningrad. Soit par une opération terrestre depuis Kaliningrad ou la Biélorussie, soit en détruisant routes et voies ferrées avec des attaques aériennes ou l'artillerie. Si cela se produisait, les trois États baltes se retrouveraient territorialement coupés du reste de leurs alliés de l'OTAN et de l'Union européenne. Il faudrait que la Russie évite une contre-attaque de l'OTAN grâce à une bulle antiaérienne et en prenant, bombardant ou bloquant le corridor de Suwałki pour empêcher l'acheminement de troupes.

   Il faut savoir qu’en Pologne, à Orzysz, non loin de Suwałki, est stationné un groupement tactique de l'OTAN qui s’entraîne en permanence pour la défense du corridor. Les troupes qui le composent sont constamment en rotation afin que le plus de personnel possible soit formé pour cette mission. Ce “Battle Group Poland” se compose de troupes de Grande-Bretagne, des États-Unis, de Roumanie, de Croatie et de Pologne. Et puis, c’est vrai que la demande d’adhésion de la Finlande et de la Suède pourrait être pour une bonne nouvelle pour les pays baltes. En entrant dans l'Alliance atlantique, les deux pays européens voisins pourraient effectivement envoyer du matériel et des troupes.

   Heureusement, compte tenu des difficultés de la Russie en Ukraine, certains spécialistes des conflits contemporains la voit mal envahir l'ensemble des pays baltes en menaçant directement le corridor de Suwałki… Ouf !