Andrzejki, une fête polonaise
À l'ère de la mondialisation, nous sommes inondés de fêtes qui n'ont pourtant aucun rapport avec nos traditions d'origine et qui ne font souvent qu'alimenter notre soif d’achat déjà bien exubérante. Pourtant, il existe des pages du calendrier polonais qui valent vraiment la peine d'être dépoussiérées, ne serait-ce que pour montrer aux enfants les coutumes cultivées par leurs grands-parents et arrière-grands-parents. L'une de ces fêtes, ce sont les Andrzejki [ann-djeï-ki].
Comme son nom l'indique, ce sont les festivités liées à saint André, apôtre de Bethsaïde en Galilée, l'un des saints chrétiens les plus populaires et les plus appréciés. Son culte a une longue tradition, et pas seulement en Pologne. Par exemple, Saint Andrew est le saint patron de l’Écosse…
Jadis, la Saint-André était même une fête religieuse importante. Des services religieux avaient lieu dans les églises de toute la Pologne, rassemblant des villages entiers. Les fidèles priaient pour demander une grâce par l’intercession du saint.
Aujourd’hui, cette fête en Pologne est toujours pratiquée. Peut-être est-elle même plus fêtée qu’Halloween, une fête beaucoup plus commerciale. Andrzejki connaissent d’ailleurs depuis quelque temps une renaissance grâce aux médias, en particulier la radio et la télévision, qui jouent un rôle important dans la diffusion des traditions régionales renouvelées chez les particuliers.
Sur le calendrier, la Saint-André est célébrée le 30 novembre. En Pologne, c’est l’occasion pour organiser la veille ou parfois le week-end précédent une dernière grande fête avant le début de l'Avent. Cette fête est un prétexte parfait pour rencontrer des amis et s'amuser jusque tard dans la nuit. Des événements thématiques sont organisés dans de nombreux endroits en Pologne, où l’on peut passer du temps en bonne compagnie. C'est peut-être aussi la dernière occasion d’organiser une fête joyeuse avant les prochains réveillons de Noël et du Nouvel An. C’est vrai aussi que cette fête tend à se normaliser. Des réunions joyeuses, accompagnées parfois de danses sont organisées dans les écoles, les centres culturels, les clubs, les restaurants.
Mais pour profiter pleinement de cette expérience culturelle, certains préfèrent plutôt inviter des amis à la maison. Sans oublier de se munir de quelques objets indispensables (mais faciles à trouver) : des bougies, une clé et un bol… En effet, les festivités de la soirée des Andrzejki sont surtout réputées être particulièrement propices à la divination. Cette tradition remonte à des temps très anciens. Les premières traces écrites de cette fête datent du XVIe siècle. On peut en effet les trouver dans les chroniques de Marcin Bielski, chroniqueur, historien, traducteur et poète satirique de la Renaissance qui fut un des premiers écrivains polonais à écrire en langue polonaise ! Nos ancêtres croyaient que, grâce à saint André, ils entreverraient un instant l'avenir, surtout durant la nuit du 29 au 30 novembre... Ce soir-là, d'énormes feux de joie étaient allumés autour des chaumières pour éloigner les mauvais esprits. Les esprits des ancêtres décédés pouvaient ainsi revenir sur terre et révéler le secret du futur…
Il faut savoir qu’il y a seulement quelques dizaines d'années, toutes les jeunes filles nubiles polonaises savaient que lors des célébrations des Andrzejki, elles avaient une chance de découvrir à quoi ressemblerait leur vie amoureuse. Deux proverbes décrivent parfaitement l'événement :
„Noc Andrzeja Świętego przywiedzie narzeczonego” / La nuit de saint-André amènera un fiancé
„Na Świętego Andrzeja pannom z wróżby nadzieja” / À la saint-André l'espoir des jeunes filles est dans la divination
Cette divination était prise au sérieux et, au départ, ne fut pratiquée qu'individuellement, de manière isolée. Plus tard, elle prendra une forme collective et sera organisée en groupes de jeunes filles de même âge. De nos jours, elle s’est transformée en une fête sans aucun engagement rassemblant des jeunes des deux sexes. Ces réunions n’ont plus actuellement que des fins de divertissement. Personne ne leur accorde plus autant d'importance que jadis.
Une coutume qui est restée jusqu'à ce jour consistait à verser de la cire chaude dans un bol d’eau froide par le trou de l’anneau d’une clé. La forme obtenue ou la projection de son ombre sur un mur devait donner un indice sur le futur élu ou sur sa profession… Pour cela, les figures de cire étaient souvent placées à la lumière d’une bougie de manière à ce que leur ombre soit projetée sur un mur afin de pouvoir mieux lire ainsi les signes. En stimulant bien son imagination… Cet art divinatoire est appelé ciromancie, m’a-t-on dit…
Un autre rituel effectué encore de nos jours lors des festivités de la Saint-André consistait à découper deux grands cœurs en papier. Sur l’un deux, on écrivait de nombreux prénoms masculins et sur l’autre, des prénoms féminins. Une par une, les personnes présentes s’approchaient d’un cœur (les prénoms étant bien entendu sur la face cachée) et le perçait avec une aiguille. Le prénom percé indiquait le nom de la future épouse ou du futur époux.
Un rituel plus ancien, mais toujours connu, consistait à éplucher une pomme. Il fallait d’abord préparer des pommes de même taille. Chacun devait éplucher sa pomme. Celui qui obtenait la plus longue pelure aurait la relation amoureuse la plus longue. Chaque participant jetait ensuite son épluchure derrière lui. La lettre qu’elle formait sur le sol indiquait la première lettre du prénom de son futur amour.
L'une des divinations les plus simples consistait à jeter une pièce de monnaie dans un récipient rempli d'eau placé à une distance appropriée (ni trop près, ni trop loin). On devait d’abord faire un vœu. Si la pièce tombait dans l'eau au premier essai, ce vœu deviendrait réalité. Un second lancer réussi était censé donner seulement l’ombre d’une chance à ce que le rêve se réalise.
La bonne aventure se faisait également à partir d’objets cachés sous des assiettes retournées. La jeune fille devait quitter la pièce et les autres filles cachaient une bague, une poupée et un chapelet sous les assiettes. La jeune fille revenait alors choisir une assiette. Une bague signifiait un mariage imminent, une poupée signifiait un enfant avant le mariage et un chapelet signifiait une entrée au monastère. On pouvait utiliser davantage d’assiettes et y placer d'autres petits objets (par exemple une clé symbolisant le déménagement, un morceau de sucre signifiant une vie douce et insouciante, etc.). Si on tombait sur une assiette vide, rien ne changerait probablement dans un avenir proche.
Les jeunes filles prédisaient également leur avenir en comptant les piquets de la clôture et en répétant célibataire, veuf, célibataire, veuf... Le nom qui arrivait au dernier piquet devait déterminer l'état du futur mari…
Comme je l’ai signalé plus haut, la fête traditionnelle des Andrzejki était une fête réservée à l’origine uniquement à la gent féminine, mais les jeunes hommes, eux-aussi, prédisaient l'avenir et jouaient à ce qu'on appellait Katarzynki [ka-ta-jénn-ki], c'est-à-dire les festivités liées à Sainte Catherine d’Alexandrie, l'une des plus célèbres martyres des premiers siècles qui au Moyen Âge était considérée comme la sainte patronne des célibataires. Dans la nuit du 24 au 25 novembre, les Katarzynki étaient fêtées dans tous les villages, lorsque tous les travaux des champs avaient pris fin.
Aujourd'hui, peu de gens se souviennent de cette fête. La tradition de la célébrer a commencé à disparaître au milieu du XIXe siècle. Jusqu’à cette époque, les jeunes hommes faisaient des prédictions matrimoniales principalement liées aux rêves.
L'un des rituels populaires consistait à placer pour la nuit sous l'oreiller divers objets féminins ou des morceaux de papier portant des prénoms. Cela devait garantir que pendant le sommeil du célibataire son élue lui apparaîtrait.
Des plumes d'oiseaux étaient aussi placées sous les oreillers. Si l'un des jeunes hommes rêvait d'une poule blanche, cela signifiait un mariage avec une jeune et charmante jeune fille, tandis qu'une poule noire signifiait des épousailles avec une veuve. S’il rêvait d’un paon, cela signifiait une femme fière. Un hibou signifiait une femme intelligente, mais pas nécessairement belle, et une colombe était tout le contraire, c'est-à-dire belle, mais pas forcément intelligente. Le pire cas d'un tel rêve prophétique était l'apparition d'un cheval gris. Cela signifiait que l'homme resterait vieux garçon.
Aujourd'hui, on considère la Saint-Valentin comme la fête des amoureux. Il y a quelques décennies c'était Saint André qui était le patron des jeunes filles à la recherche de l'amour, et la patronne des jeunes garçons célibataires qui étaient prêts à se marier était donc Sainte Catherine. Au fil du temps, la Saint-André a absorbé en Pologne les célébrations de la Sainte-Catherine et les garçons ont commencé à la célébrer en même temps que les filles.
Alors, n’oubliez pas ! „Święty Andrzej Ci ukaże, co Ci los przyniesie w darze.” / Saint André te montrera ce que le destin en cadeau t’apportera…